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L'Agrithéâtre

L'Agrithéâtre

le lieu culturel qui se construit avec ceux qui sont là


Chronique d'une Apocalypse

Publié par Agrithéâtre sur 18 Mars 2020, 16:10pm

Il y a quelques mois, j'avais écrit dans le journal de la commune

cet article.

 

Petite Chronique  apocalyptique

 

 

Par Benjamin Sisqueille – deuxième adjoint culture communication

 

 

« Au pôle nord, d’incroyables pics de chaleur… La Californie est carbonisée par le plus grand incendie de son histoire… Les oiseaux disparaissent des campagnes françaises bientôt silencieuses… Un séisme a de nouveau secoué l’île indonésienne de Lombok… Les scandinaves ferment les autoroutes, car l’asphalte fond… ».

Impossible cet été de donner congé au monde, tant va le dérèglement du monde comme il va. Le temps mou des vacances n’a cessé d’être interrompu par les catastrophes. Elles se multiplient, s’accélèrent, plaçant toujours plus le présent dans l’imminence de la fin du temps. Même la voix des journalistes a cessé de sonner faux le temps d’un instant. Apocalypse oblige !

 

En prenant un peu de recul, nous nous rappelons que la disposition à vivre le temps dans l’horizon de la fin n’est que l’héritage de notre identité chrétienne.

Il y a deux mille ans s’écrivait ceci :

 

Le tiers de la terre fut consumé, et le tiers des arbres fut consumé, et toute herbe verte fut consumée. Les eaux devinrent amères, les créatures y vivant disparurent massivement et la nuit perdit sa clarté. On croyait que l’ordonnance des saisons et des éléments qui avait régné depuis le commencement sur les siècles passés était retournée pour toujours au chaos et que c’était la fin du genre humain.

 

Il y a mille ans, on pouvait lire :

 

Ainsi les hommes sont envahis par l’eau et le feu ; les ouragans et les intempéries de l’air leur dérobent les fruits de la terre ; les plantes s’étiolent parce que l’air pur est vicié, de sorte que l’été a souvent de la froidure et l’hiver une chaleur intempestive, puis tantôt une sécheresse si désolante, et tantôt une telle surabondance de pluie, que plusieurs croient à l’imminence de la fin du monde.

Depuis que le temps est devenu chrétien, nous le vivons sempiternellement de la même façon : tourné vers la fin. Et c’est au monde d’en faire l’annonce. Derechef, nous y sommes : il y a des phénomènes effrayants, et dans le ciel de grands signes.

 

Nous pourrions être ballottés entre l’espoir et la crainte. Nous pourrions étudier les hypothèses, les méthodes et les chiffres de ceux dont le métier est de modéliser le climat. Nous pourrions nous jeter dans les bras des prophètes appelant au repentir. Mais rien, rien de cela. Ce qui est remarquable avec nous, les modernes en phase terminale, c’est la molle apathie, la nonchalance sceptique et l’indolence curieuse avec laquelle nous considérons la catastrophe. Il y a chez mes contemporains un refus du tragique. Et par là un abandon de la solidarité, d’une conscience de l’acte commun autre qu’un entre soi ridicule et hypocrite.

Nous ne sommes pas les premiers à vivre la fin des temps, mais les premiers à la vivre de façon si désaffectée. « Cet été, il n’y a que des catastrophes. Quel ennui… » En d’autres temps de la fin, on connut de toutes autres conduites. Les ermites des premiers siècles s’installaient au bord du désert pour se tenir prêts. Les hommes, seuls ou en groupes, prenaient sur eux la vérité de la fin, en prenaient acte. Les existences se polarisaient à l’opposé de ce monde, déjà mort. Entre les signes qu’un monde s’achève et les gestes, on cherchait des connexions. Le drame des derniers jours n’était pas une chimère à échéance lointaine, c’était une vérité infaillible et que l’on sentait, presque à chaque instant, sur le point de se réaliser. Mais nous, nous n’éprouvons rien. Alors que tout s’effondre, nous sommes résolument indifférents.

Il y aurait bien une explication de cette passivité. La catastrophe, il est vrai que nous y assistons de loin et par image interposée. On dira alors que nous sommes au spectacle, ce qui nous préserve de toute catastrophe effective. L’image nous fascine et nous intoxique depuis bien des siècles, à commencer par celle de l’église, avec ses crucifixions et ses enfers de flammes et aujourd’hui avec celles pornographiques que consomment déjà des enfants de sept ans sur internet, sans parler des lumières bleues dans nos salles à manger, autre pornographie que l’information ! Il est aussi à noter que cette pornographie touche elle même l’église chrétienne, avec tout le silence explosant autour de la pédophilie des prêtres.

 

Comment peut-on s’en foutre à ce point ? Dans quelle économie du salut trouvons-nous la foi de continuer comme si de rien n’était ? On a tort de décrire nos contemporains comme des jouisseurs apocalyptiques qui profitent, toutes pulsions dehors, des derniers instants du monde. Car leurs jouissances sont mornes et sagement dosées. Après moi le déluge, peut-être, mais à la condition qu’il ne soit pas encore pour tout de suite. Ne venez pas déranger ma petite retraite Lotoise, dit le retraité des banques Américaines !

Ils ne vivent pas le temps de la fin comme s’ils pouvaient l’empêcher, ce qui demanderait un virage complet de l’existence. Ils ne l’oublient pas non plus comme s’ils pouvaient oublier tout ce qu’ils perçoivent ou tout ce que justement ils ne perçoivent plus. Ils le vivent comme délai, dans l’ajournement de sa fin. Il leur reste un peu de foi dans la possibilité de différer, d’in-différer la catastrophe. Et c’est là qu’ils répètent benoîtement l’histoire chrétienne, jusque dans leur affectivité même.

Nos contemporains ne sont pas des désespérés qui se résignent aux pires catastrophes. Ils se réjouissent quelque part de savoir qu’ils n’en seront pas, le monde dût-il périr. Car ils ont la technologie, formidable machine sotériologique1.

 

Quel est donc ce mot barbare, me direz vous ?

Si vous ne le connaissez pas ce n’est pas faute au pouvoir religieux de ne pas l’enseigner ! La sotériologie est la théorie du salut, de la rédemption humaine, et la rédemption, c’est tout le fondement du christianisme, c’est l’espoir terrestre du rachat de l’âme duquel le christ ouvre la voie par sa résurrection. Et la technologie actuellement a remplacé la chose, mais en suivant sa trace.

Le salut est ainsi devenu chose aisé. Il ne passe plus par les Églises et les Empires. Il ne demande plus qu’on s’en remette à une transcendance. Il n’exige plus de conversion et de déclaration d’obéissance. Il est devenu individuel et gestuel, immanent, par la grâce de la technologie. Qu’on songe un seul instant à l’acte même de se connecter. Il annule les corps, l’espace et le temps.

 

Quand mes concitoyens écrivent « il y a le monde et Francoulès », ils définissent bien ce qui caractérise tant ce département et qui le rend si sympathique : Un absolu refus d’un changement, un territoire de replis nostalgique, d’un conservatisme paysan hors réalité, et pourtant pris aussi dans les rêts mortifères du libéralisme sauvage. La nostalgie est un sentiment étrange, finalement. Un de ces sentiments qui faisaient écrire à des philosophes comme Nietzsche « qu’il n’y avait pas de devenir possible sans oubli ».

La totalité des extrémismes en mouvement dans le monde sont bien sûr la volonté des peuples de voir leur existences revenir à un acceptable temps où « la vie était bonne ».

Ce temps où l’on s’installe, dans un conformisme idiot, ce temps n’est plus possible désormais car simplement… le réchauffement climatique, l’épuisement des ressources, les inégalités croissantes, l’absence de réflexion possible chez les jeunes générations que remplace une violence impuissante, faute de transmission des vieilles générations.

 

La France deviendra prochainement une contrée tropicale… La canicule, bientôt la norme… s’excitaient dernièrement les journaux.

Normal, normé, aux normes. Quel est donc ce mot qui garantirait au nom de cette technologie, de ce progrès d’un « à-venir », une certaine sécurité à défaut d’une éternité. Quels sont ces énergies renouvelables, cet espoir de lendemains qui chantent, cette extraordinaire production de rires et de chansons sur l’île aux enfants, où il n’est question que de la fin des choses et d’un printemps oublié. La norme de l’avenir c’est la France tropicale !

Soyons sérieux, à défaut d’être intelligents. Nous sommes habitués à la soumission qu’exercent les puissants. Nos révoltes et l’esprit des lumières ne nous ont conduit qu’à affronter impuissants nos croyances en des dieux qui n’ont conduit qu’à l’édifications d’églises, de la chrétienne à la technologique, mais surtout à installer des prêtres serviteurs des pouvoirs évangéliques, politiques, théologiques, médiatiques, technocratiques, que nous continuons à prier, faute d’avoir su accepter notre humaine condition mortelle, en toute considération de nos animalités.

L’Église a du écraser le discours apocalyptique car il mettait la fin au monde ici-même. Il lui fallait imposer un Enfer séparé et indépendant des éléments. De son côté, la rationalité fait jouer les causalités obscures et lointaines.

Nous n’avons pas besoin de connaître les chaînes de causalités pour éprouver quoi que ce soit. Il saute aux yeux qu’elles ont le pouvoir de clore le ciel et le silence des prairies est déjà bien assez pesant. Nous avons plutôt besoin de nourrir une nouvelle sensibilité aux présages, qui n’est pas encore née. Des présages qui seraient l’affaire non des devins mais celle des vivants. Sur nous, les maux du monde prennent corps, prennent âme. Car toutes les blessures sont ouvertes, et venues de la terre toute entière.

 

 

Benjamin Sisqueille – Ex 2° adjoint d'un conseil municipal népotiste

 

 

 

 

11 - en religion, relatif à la sotériologie (théologie du salut, de la rédemption de l'humanité)

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