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L'Agrithéâtre

L'Agrithéâtre

le lieu culturel qui se construit avec ceux qui sont là


Chroniques de lectures peu recommendable 4 : Wallach and C°. La saga du ministère

Publié par Agrithéâtre sur 18 Mai 2021, 12:52pm

Se poser la question de la culture dans des régions rurales est une affaire complexe. D’abord que veux dire culture en 2022, que veulent dire les expressions « pratiques culturelles », « politique culturelle », quels sont les « acteurs de terrains », les » financements », et enfin le ou les publics ?

Aborder ce sujet ne peut être qu’une affaire de sociologue, et l’objectivité que nécessite son traitement est quasi impossible, car il s’agit d’un sujet éminemment politique. Néanmoins ma position personnelle qui est une position artistique, et qui a été construite par ma pratique professionnelle tout au long de mon existence me conforte dans une sorte d’égotisme artistique à penser que le problème de la culture est avant tout un problème d’éducation et de milieu, et ensuite un problème de désir et de curiosité.

Je suis tombé récemment lors de mes enquêtes philosophiques sur ces questions sur un livre remarquable de Jean Claude Wallach, psychosociologue chargé de cours à l’université Paris 1, consultant spécialisé dans les politiques publiques de l’art et de la culture . Nous partons du rêve malrucien ( de Malraux donc ) pour aboutir à un constat d’échec des politiques culturelles, suivant les successifs gouvernements et les dérives sociales entraînées par des changements profonds, incontournablement dus à l’idéologie libérale .

On s’aperçoit très vite à la lecture de Wallach, que la position de l’artiste est fortement soumise à une politique d’état en matière culturelle, que l’art lui même devient un produit de consommation, et le secteur culturel une entreprise devant être rentable, bref on est rapidement conduit à s’interroger sur le rôle des uns et des autres dans une sorte d’imbroglio langagier où spectateurs, culture, artiste, argent et pouvoir politique sont englués dans un placenta de non sens social, qui au lieu de créer un lien crée au contraire des antagonismes et des haines de classes.

Je ne vais pas ici emprunter à Wallach des mots de son livre, ce qui ne conduirait qu’à réduire sa portée mais bien plutôt d’extraire juste quelques extraits, qui nous parlent, en tout cas à moi du moins, et qui pourront je l’espère conduire nos questions lors du petit colloque que nous proposons le 19 juin.

Voici des citations en italique extraites de son livre « La culture, pour qui ? essaie sur les limites de la démocratisation culturelle » et les commentaires de Wallach.

Bertolt Brecht : « Ce qu'il faut faire, c'est définir ce qu'est le peuple. Et le voir comme une multitude pleine de contradictions, en pleine évolution, et une multitude à laquelle on appartient soi-même. En face de l’artiste, en tant que public, le peuple n’est pas seulement l’acheteur ou celui qui passe une commande, il est aussi le fournisseur. Il fournit des idées, il fournit le mouvement, il fournit la matière et il fournit la forme. Tout cela sans_unité, dans un perpétuel changement, à son image »

Comment mieux tracer la voie à suivre. L'impératif et l'urgence d'aujourd'hui sont simples à énoncer : réinscrire les politiques publiques de l’art et de la culture dans leurs enjeux fondateurs que sont les mutations et les tensions, donc les contradictions, qui traversent la société. Jargon ? Nouvelle utopie ? Peut-être. Répétition de l’histoire ? Non, car elle ne se répète jamais. Sa structure, par contre, se reproduit, étape après étape, au fil des crises, c'est-à-dire des transformations, de ce neuf qui, non sans mal, finit par naître.

Sachons donc repérer dès aujourd'hui toutes ces initiatives qui témoignent de l’engagement de multiples processus de reconstruction de cette relation entre l’art, les conditions et les modalités de sa production, les artistes, les enjeux sociaux et culturels, la population enfin, dans sa diversité et dans sa complexité. Mais ce repérage n'est possible qu'au prix du risque et de l'exigence. Risque : celui de sortir de l’institution et de renoncer à la sorte de sécurité qu’autorise le respect de ses rituels. Exigence : celle de ne pas tomber dans le piège de la recherche esthétisante et formelle. Ce piège se pare aujourcl'hui des prétendus atours de cette « excellence artistique ››, élevée au rang de dogme.

À l’évidence, elle n’est, en réalité, que le faux-nez de cet entre-soi déjà évoqué et nous atteignons là une sorte d'empire du désincarné , comme le dit Guénoun

« Théâtre purement professionnel pour spectateurs purement avertis : tel est le modèle, la norme idéale qui préside à la vie des théâtres. Or ce modèle est celui d'un théâtre mort. La vie du théâtre ne cesse de s’agiter, mais ailleurs . Le contact productif de la professionnalité avec ce qui l'entoure et lui échappe est porteur de ressources qui seules augurent d'un possible dégel esthétique du théâtre »

Denis Guénoun – le théâtre est il nécessaire

Plus loin toujours Wallach

Il nous faut être collectivement capables de repérer et de comprendre « ce qui fait culture ›› pour une population donnée dans un territoire donné et quelles sont les « ressources habitantes ›› qu'il sera nécessaire de mobiliser dans une relation d ouverture a soi et au monde. L'urgence, c'est de faire en sorte que ce qui se joue dans la relation à établir entre l'apport irremplaçable de l'art, des artistes et des œuvres et une population relève bien d'une construction collective, d'une démarche partagée et solidaire d'appréhension et de maîtrise du monde et de son mouvement. Bref, il s'agit de construire collectivement du sens Il s'agit aussi de faire en sorte que cette construction collective de sens se réalise dans la prise en considération de la place des individus et des groupes sociaux dans notre devenir collectif. Pour cela, il faut se saisir des mots au plus fort de leur signification et, ici, prise en considération évoque reconnaissance, égalité de respect, d'exigence et de dignité. En d'autres termes, la quasi totalité des débats autour de l'état du «modèle français et républicain

d’intégration ›› est stérile et ne mobilisera guère que le microcosme qui s'y livre bien plus par nécessité de préserver la position sociale et les avantages symboliques et matériels qu'elle procure à ses membres que par leur volonté de contribuer au changement social. Les vrais enjeux sont ailleurs. Ils résident dans notre capacité collective à mettre en œuvre ces valeurs fondatrices, sans renoncer à une quelconque parcelle des exigences dont elles sont porteuses et à agir dans un contexte profondément renouvelé par rapport à celui qui a présidé à l’élaboration de ce fameux « modèle ››. Maîtriser et transformer le monde, c'est-à-dire détenir les clefs de notre devenir collectif, n'est envisageable que si nous l’appréhendons tel qu‘il est et non pas tel que nous refusons qu'il ne soit pas ou plus. Ce sont ces refus qui génèrent les intégrismes, quels qu'ils soient. Cela vaut bien sûr pour le monde politique, comme pour ceux de l'art et de la culture. Il est donc totalement contre-productif de stigmatiser rituellement une soi-disant propension des publics à « consommer » (oh le vilain mot l) ce qui leur est proposé (la télévision en premier lieu) si l`on n'a pas, au préalable, montré à ces mêmes publics qu'on les considère, individuellement et collectivement, comme des sujets agissant, mettant en œuvre des jugements de goût et inscrivant leur relation à Part et aux œuvres dans le champ plus vaste de leur rapport au monde. C'est aussi ce que souligne Dominique Vallon : « L'essentiel reste la qualité de la présence des artistes dans la ville, en prenant la ville au sens de cité. La politique culturelle, c'est à la fois compliqué et très simple : c'est le rapport entre la société, son imaginaire et sa capacité de création. Les artistes constituent l'élément décisif de ce faisceau de rencontres ››. Les artistes comme « élément décisif ››, c'est-à-dire comme acteurs sociaux, comme parties prenantes d'un ensemble d'actions déterminées et légitimées par des finalités à accomplir. Mais pour autant, pas instruments de ces actions. Ni même créateurs, c'est-à-dire assimilables à ce Dieu de certains qui serait faiseur de miracles ou guérisseur des âmes et des corps. L’imposition des œuvres se substituant à celle des mains. L'art et les artistes ne sont ni providentiels, ni universels, ni sacrés. Ils sont même tout aussi contingents et profanes que chacun d'entre nous.

 

Plus loin encore Wallach poursuit :

 

Ce qu'on appelle le « lien social ›› n'est rien d'autre que le fait que nous sommes collectivement confrontés au monde et que toute transformation du monde ne peut être que le produit d'une action collective, même si ce collectif est composé de singularités Revenons au cheminement avec Francis Jeanson proposé ici à plusieurs reprises. En 1999 d'abord «

«  je vous défie de constituer un « Nous ›› avec un ensemble de « Moi ›› ; vous pouvez réunir autant de « Moi ›› que vous voudrez, cela fera une agglutination de « Moi ››, un « On ››.

Alors le « Nous ››, c'est une rencontre entre des sujets potentiels qui s'efforcent de temps à autre - c'est trop fatigant de le faire tout le temps – de se poser en sujets, de fonctionner en sujets. Et le « Je ›› pris au sens fort, c’est lié au « Nous ›› pris au sens fort ››. Suggérons, au moins à titre d'hypothèse, que l'enjeu de l'art aujourd'hui et demain, c’est d'affirmer sa capacité à travailler sur les représentations que nous nous donnons de nous-mêmes. « Travailler ›› sur ces représentations : il ne s'agit pas ici d'inviter à assigner des fonctions sociales aux artistes. Il faut écarter aussi bien les logiques de réduction fonctionnaliste que les velléités d’instrumentalisation. Il s'agit de souligner l'urgence d'un (ré)investissement des institutions artistiques dans les enjeux de nos devenirs collectifs et donc d'une redéfinition de leurs ambitions comme de leurs modalités d’action. L'objet de la culture ou de l’action culturelle est cette « pratique effective du présent [sur la base de laquelle] nous pouvons effectivement interroger le passé et projeter un avenir ››, écrivait Françis Jeanson en 1973. Et encore : « Il importe (. . .) de savoir qu'on ne peut pas compter sur la société telle qu'elle est aujourd'hui pour nous dire ce que nous devons faire. C'est plutôt l’inverse ; c'est à nous d'expliciter ce qu'une société devrait être pour fonctionner vraiment, pour être socialisante. Ce que notre société a cessé d'être. ››

Au-delà de leur pertinence et de l’actualité de ces propos pour ce qui nous concerne ici, comment ne pas souligner combien ils peuvent aussi s'adresser au législateur qu'un excès de zèle conduit à assigner à la loi la mission d'assujettir l’histoire à une lecture idéologique de l’instant.

 

 

Je reprend la main pour vous laisser avec ces écrits qui nous interrogent, dans le sens aussi où ils rejoignent bien des questions de l’Agrithéâtre, questions que j’espère nous poserons et qui nous imposerons des actions communes.

Quant à revenir sur cette merveille d’intelligence qu’est « La naissance de la Tragédie » de Nietzsche, que j’ai relue parallélement au livre de Wallach, elle nous ramène à l’origine antique du théâtre, origine Grecque, fondement de la pensée occidentale à laquelle se heurtera au XX° siècle une pensée germanique avec les conséquences que l’on sait. Du coup se perd dans le théâtre je vais dire moderne, remontant aux italiens et aux anglais, de Goldoni à Shakespeare, la notion de chœur. Cette notion de Chœur est intrinsèquement liée au divin, par l’ivresse du peuple, à Dyonisos, et ce Dithyrambe ( chœur Dyonisiaque) voit surgir les héros Appolloniens, qui purgent les passions du peuple, il n’y a Catharsis que parce qu’il y a sacré, et il y a sacré parce qu’il y a transe, surgissement du réel divin devant le peuple ivre ( le chœur donc). Et les spectateurs sont trans-portés, ravis à eux même. Cette puissance du théâtre Grec a été enlevé par le théâtre bourgeois, qui a réduit au dialogue psychologique la trame tragique des héros Apolloniens, et entrainé le théâtre dans une esthétique figée, représentation d’une quotidienneté plus ou moins sublimée, le boulevard et le vaudeville, où de passions aristocratiques dans des tragédies en alexandrins, ou aujourd’hui encore, dans d’étranges images scénographiques technologiques et une hémorragie du sens.

Le théâtre a rapport avec le peuple, et avec le politique, et par là fait lien social et culture. C’est très certainement cette « chose détruite » que nous devons reconstruire car sa déconstruction n’a pas eu lieu.

 

Merci de votre attention à cette lecture.

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