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L'Agrithéâtre

L'Agrithéâtre

le lieu culturel qui se construit avec ceux qui sont là


Chroniques de lecture peu recommandables 4 : Dorian Astor et Johann Chapoutot

Publié par Agrithéâtre sur 26 Avril 2021, 20:40pm

 

 

Il est vrai que lire de la philosophie est un sport dangereux. Je fais ici état de mes lectures comme on le fait d’un journal de voyage, d’une dérive dans la pensée d’une époque, sans faire valoir une quelconque prétention à un élitisme quelconque, mais plutôt à une curiosité sans fin, une volonté à comprendre l’occidentalité dont je suis le sujet et l’objet à la fois.

Je me pose sans cesse la question du théâtre, qui est l’artisanat que je pratique. Mes lectures me guident, m’interrogent, m’apportent des questions nouvelles et des bouts de réponses. Il s’agit d’un travail ciblé : comprendre cette occidentalité qui m’a fait, cette pensée grecque, romaine, scolastique, chrétienne, européenne, ces courants d’intellectuels puissants qui ont façonné nos façons d’être à nos insus et ont stabilisé nos sociétés et notre penser jusqu’à peut être nous désubjectiver, bloquer nos individuations pour fabriquer ce sujet de l’homme consommateur désérotisé et désormais en voie d’humanisation machinique.

Le monde actuel est dans un grand chaos de penser et d’agir, soumis à des sommations d’informations anxiogènes et d’incessantes découvertes techniques qui saignent une planète « en combustion » comme dirait le philosophe Africain Achille M’menbé. Le vivant est mis à mort par le management, et personne ne sait ce qu’est le management. L’Occident s’est bâtit sur le colonialisme, et nous parlons d’intégration. Notre religion bien confortable est la laïcité, et nous avons oublié les croisades. La liste est immense de nos contradictions. Inutile d’en lancer une polémique, le chaos est désormais total. Nous avons peur. Nous voulons la sécurité. Mais quelle sécurité ?

Les intermittents du spectacle veulent qu’on maintienne leur « année blanche ». Quel beau projet, tant que l’état est là, tout va . On nous vaccine, ça nous rassure. On nous confine, ça nous éloigne. On produit des séries addictives, nous sommes contents on y flatte nos émotions. Le monde devient une vaste production d’êtres vidés de ce qui les a fait humains, trop humain . On produit un objet sans « être », dont l’objectité sert un projet inconnu, dont nous sommes exclus , initié par et qui profite à des aristocraties financières dont nous sommes le sang. Monde de vampires et peuple de zombies, tel est le paysage actuel.

Alors que faire du théâtre là dedans ? J’entend bien sûr du vivant . De la voix. Du corps. De l’écoute. Un lieu d’accueil des rencontres. Mais un lieu libre. La police n’a pas à contrôler les mœurs tant bien sûr qu’une éthique s’y construit, hors de normes dictées par des chiffres qui sont totalement vidés de leurs sens par la statistique triomphante de notre époque numérique.

Je viens de lire le livre très éclairant d’un jeune historien philosophe Johann Chapoutot sur l’histoire du management du nazisme à nos jours. Il y a aujourd’hui un projet de société établit par le courant ultra libéral dont nous n’avons aucune donné, si ce n’est une mondialisation marchande et financière et un projet de gestion des troubles écologiques et sociaux à venir mais qui semble ne concerner qu’une partie de la population. Il y a du sacrifice dans l’air mais cela a , il faut le savoir, toujours été. Que faire dès lors ?

 

Un autre livre m’a donné un élan dans la pensée de l’époque, ce sont les considérations inactuelles de Nietzsche. Dès que l’on prononce son nom, il semble que la personnification du diable fasse irruption dans nos esprits. Certes l’homme n’était pas fait pour être compris de son vivant et son basculement dans la folie à la fin de sa vie l’a sacralisé comme …fou.

Il faut reconnaître que dès que l’on s’approche trop de la raison pure, on ne peut que la quitter. C’est certainement pour cela que Kant avait une telle discipline et régularité dans son quotidien. La maladie était chez Nietzsche un état normal. Sa santé lui demandait aussi une discipline, et sa vie se compliquait par bien des choses intimes et personnelles qui ne lui rendait pas les jours simples. Nous avons tendances à ramener dans nos quotidiens routiniers la pensée de ces hommes à une sorte d’excitation intellectuelle bien inutile. Mais ce qu’ils nous disent est d’une richesse incroyable et surtout d’une lucidité sur l’humain qui ne peut que nous aider à comprendre notre sort et donner un sens à des vies, plutôt qu’à se soumettre à des conditions où nos pauvres jouissances ne sont que la maigre compensation de notre soumission.

Nietzsche nous dit « il nous faut d’autre valeurs, il nous faut créer ». Et pour cela l’oublie et la mémoire doivent en quelque sorte se conjuguer. C’est un message d’espoir très intelligent et altruiste que l’homme nous donne en nous faisant réfléchir à l’utilité de l’histoire. Nous sommes aujourd’hui dans une civilisation du stockage en masse d’informations et d’archives qui empêchent toute réflexion. L’actuelle « crise sanitaire » nous conduit aux portes de contradictions, et la gestion managériale qu’en font des sois disant « élites » ne peut qu’être catastrophique, car les techniques employées sont celle même que le nazisme employa et qui le conduisirent à sa chute. L’occident a réifié le vivant, et l’a coupé de toute spiritualité. Il est temps de se mettre à créer un autre monde, au moins pour la petite éternité que le soleil nous accorde.

Cela ne signifie pas condamner ce que l'occident  a su entrevoir dans l’accès au réel, par la géométrie et les nombres, mais tirer le meilleur partit de ces choses par une reconstruction de la raison et du sens qui sont devenus les vecteur d’un folie assassine.

Le théâtre a son mot à dire dans cette entreprise. Lequel ?

Se pose dès lors la question de l’esthétique et du politique. Il me semble que ces deux facettes sont à relier à la question même du représenté de la représentation. De quoi la représentation est elle le signe ? Que veux dire représenter le Misanthrope aujourd’hui ? Ou un texte de Sarah Kane, ou encore un boulevard des années 60 dans un village du Quercy ? Voire, plus près de nous encore, un texte comme Art de Yasmina Reza ? Et par le canal du représenté où se place désormais l’incontournable signature du metteur en scène, le travail d’un collectif underground comme le Wooster Group ?

On assiste alors à l’immense variété des théâtres, mais lequel nous touche vraiment, et où fait il mouche dans nos conformismes, voire réveille des vocations ? Comment situer cet art entre l’entertainement (terme de l’Anglais désignant le divertissement ) , et, soit un effet cathartique, soit encore une jouissance esthétique de connaisseur, de celui qui pratique la fonction spectateur avec une culture lui procurant l’analyse possible de l’œuvre en chantier. Le théâtre ne peut pas être populaire, et ce peut être aussi car « la vie est un théâtre », et que le comptoir du café du commerce est le véritable lieu de la construction populaire, du lieu de la langue où se dissipe la pensée du peuple gouvernée par les médias de masse. On y fige le théâtre de la vie, on y moque l’exploitation des puissants, et on y dit que la misère est tolérable malgrès tout, que les lieux communs réunissent. Le théâtre n’est pas le lieu du commun, mais il pourrait être celui où une dialectique peut se pratiquer, si il arrivait à allier à la fois une certaine nécessité de s’y rendre à une façon d’y trouver un supplément de culture par un véritable échange avec l’altérité.

Le théâtre un art élitiste ? Un supplément d’âme, nécessitant une initiation, car entre Jacqueline Maillant dans un vaudeville et la même comédienne dirigée par Chéreau dans un texte de Koltès, il y a un abîme. Peut on définir ce que le théâtre est devenu depuis la Gèce antique. Le théâtre tel qu’il découle de sa pratique au XX° siècle ne peut perdurer en l’état. Un autre théâtre est à venir, un autre spectateur est à gagner, et tel est à mon sens le défi que ce XXI° siècle pose aux artistes, aux artisants du théâtre et pour cela nous devons quitter cet état providence et aller par les villages comme dit Peter Handke. Aller à la rencontre d’une autre représentation, d’une autre pratique de la représentation, et pour cela faire œuvre commune, dans un partage des savoirs et des pratiques et non suivant un plan quinquennal établit par un ministère qui forme des spectateurs à l’école au lieu de former des artistes, chose que les fonctionnaires de la technocratie sont loin de concevoir comme une voie de progrès démocratique.

Je cite ici Dorian Astor dans son livre " Nietzsche ou a détresse du présent » Page 124

Il semble, en effet, que le cas de l'enseignement artistique présente des particularités intéressantes pour comprendre ce que Nietzsche peut bien pouvoir réclamer de l'éducation. Nous pouvons observer aujourd'hui deux réalités extrêmes : d'un côté, à l'école, une formation artistique indigente, tenue par les différents gouvernements au niveau de médiocrité le plus criant, et qui tiennent pieds et mains liés les enseignants des disciplines artistiques : vous ne formerez surtout pas d'artistes, mais dispenserez un peu de culture générale et susciterez un peu de « créativité ››, cela favorise le développement personnel, et donc la compétitivité (on en retrouvera les bénéfices à la dernière ligne des c.v. des candidats à l'embauche, dans la case « centres d'intérêt ››). De l'autre côté, la formation professionnelle des artistes, une nébuleuse de conservatoires, d'écoles spécialisées, de stages, d'ateliers, de cours privés. Dans leur diversité, et malgré toutes leurs déficiences, ces formations se caractérisent par un point commun : la potentialité de la rencontre d'un ou plusieurs maîtres. Or, même lorsqu'elle se produit dans les conservatoires (qui souffrent eux aussi de la massification, des prescriptions étatiques et des contraintes de la productivité), cette rencontre entre un maître et un disciple a quelque chose d'inactuel au sens nietzschéen. Dans cette relation de solitude à deux, émerge une forme de vie dont l'énergie est le désir de croître, mais dont la pratique quotidienne est une encapacitation cruelle, injuste, douloureuse, de reconfiguration plastique du corps et de l'esprit, qui passe par la soumission au maître et à la tradition, le respect des grandeurs passées et l'efficacité de leur exemple, mais dont le seul moteur est l'effectuation d'une puissance, un dépassement de soi, une domination de soi sur soi dont la domination par le maître n’est que le vecteur et l'instrument. Il y a chez les maîtres quelque chose du rapport de Zaratoustra à ses compagnons : « Maintenant je vous ordonne de me perdre et de vous trouver »

Qui songe à l'extrême sélectivité qu'impose tout destin artistique, et au type d'individu qui cree ce type de discipline ? Il faut reconnaître qu’il reste extrêmement difficile de se représenter un enseignement général qui fonctionnerait sur le modèle de la formation de l'artiste – modèle d’autant plus difficile à saisir qu'il est transversal à des institutions dont les dysfonctionnements sont patents et ne se dit fondamentalement que de la relation entre maître et disciple. Mais ce modèle inactuel , élevage sélectif en vue de créer une individualité nouvelle et en quelque sorte souveraine, est un exemple qui rend audibles, dans une certaine mesure les exigences radicales de Nietzsche pour l’éducation. Et nous voyons combien la « culture de masse ›› ne cesse d'opposer un contre-modèle, caricatural à cette formation inactuelle de l'artiste »

 

On voit bien que le modèle d’éducation en France du moins, exclu l’art de l’apprentissage, et que les interventions en scolaires (mal payées par ailleurs) ne servent qu’à justifier par un saupoudrage rapide un apprentissage artistique qui donne bonne conscience au ministère et comble les parents spectateurs de la star académie.

 

C’est qu'il semble que les démocraties modernes, dans leur volonté, au moins affichée, de « culture pour tous ››, confondent deux missions différentes : d'un côté, la massificatíon de la culture, qui entérine l'aliénation d'un peuple en masse travailleuse et consommatrice; de l'autre, l'accession potentielle de chacun à une culture d'élite, qui transformerait les masses en peuple, c'est-à-dire en

une communauté capable de générer librement et à partir d'elIe-même ses propres élites culturelles_. Ce sont deux exigences très différentes : dans le premier cas, l'art et la science se mettent au service de l'économie du travail et de la consommation de masse, reconduisant les inégalités sociales; dans le second, l'art et la science œuvrent à l'émergence d'índividus assez émancipés des déterminismes socio-économiques pour vivre, penser et sentir autrement, et légiférer à partir de cette liberté sur la communauté dont ils émanent.

Dorian Astor

 

Nous allons tenter avec les usagers de l’Agrithéâtre de réunir vers la mi juin nos forces et nos compétences afin d’imaginer comment donner au lieu plus de visibilité et de puissance. Et ce précisément pour faire mieux connaître nous l’espérons notre action citoyenne, populaire et culturelle.

 

Merci de votre écoute.

 

 

 

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