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L'Agrithéâtre

L'Agrithéâtre

le lieu culturel qui se construit avec ceux qui sont là


Publié depuis Overblog

Publié par Agrithéâtre sur 9 Juin 2025, 01:05am

Le texte du spectacle serait difficile.

Des reproches me sont faits, que j’entend bien sur, mais précisément sont ils entendables ? Des compliments sur la scéno, le jeu des acteurs, les costumes et les lumières, somme toute l'image. Le texte restant difficile.

Dès lors je pose la question de la notion de difficulté. Plus encore de la « difficulté d’un texte de théâtre ». Je ne suis pas un « auteur », et ne me revendique pas tel. Plutôt un joueur, un plaisantin, un amateur « d’écritures ». Je ne me considère pas comme un homme de grande culture, plutôt un baladin du monde occidental, un promeneur dans le dédale des concepts, et des figures de style de notre si belle langue. C’est cela que j’essaye de faire partager au public. Mais. Ce « mais » engage le reproche : à qui cela s’adresse t il ? Et je le dis avec une radicalité qui n’est pas du mépris : cela s’adresse à ceux chez qui je suppose qu’un chemin a été parcouru. De quel chemin s’agirait il ? Il s’agit de s’interroger sur ce qui nous arrive. Or, « ce qui nous arrive », est avant tout de notre responsabilité, ce que Freud appelle la compulsion de répétition, d’autres la servitude volontaire, bref une soumission à une nécessité, un destin, une histoire, familiale, nationale, mondiale, une modernité qui nous plaque à notre passé, comme le souffle d’une tornade, une vieillesse sans cesse bousculée par un « vouloir mieux » de nos descendances , une jeunesse par ce fameux « plus que jouir ».

Il y a cette chanson populaire de Luis Llach, poète Catalan, qui dit : mentres tot acho m’arriva, vida, vida. Pendant que tout cela m’arrive, la vie, la vie etc…Et bien la vie c’est tout ce qui arrive, et le texte du spectacle c’est précisément ce « tout ce qui arrive » à cette pauvre Europe, qui n’a finalement rien demandé à personne, si ce n’est que ce territoire, cette mosaïque, ne fasse pas l’objet d’une permanente convoitise de  ses richesses, mais plutôt d’une mise en respect de ses cultures paysannes, intellectuelles, musicales.

Ce qui se passe dès lors, et ce depuis l’Euro, c’est que nous avons été asservis par les pouvoirs (politiques, télé-technocratiques, financiers, mafieux) à une mise en tension de nos sentiments d’appartenance à une identité, une origine, une histoire complexe d’immigration, qui a fait de nous des animaux parqués dans une « société de bien être et de consommation » qui nous a ôté toute curiosité sur nous même, et a délégué nos existences à une gouvernance capitalistique, qui promet le concept libéral comme un avenir de confort infini. Alors même que les chercheurs anthropologues nous peignent une humanité qui a déjà du résister à des bouleversement climatiques énormes, avec bien évidemment des pertes humaines gigantesques, allant jusqu’à des disparitions de « races », seul ce mot me vient, en pensant aux Néandertaliens et aux  Cro Magnons.

Nous sommes devenus amnésiques, nourris à des représentations sociales hyper Américano-occidentalisés. Nous sommes devenus des animaux malheureux, dans un « devenir Camps » de l’humanité surnuméraire, Gaza est un exemple.  

De plus le texte est plein de métaphores poétiques, dont nous ne sommes plus nourris, donc nous avons perdu la pratique d’entendre de la langue, nous sommes devenus sourds. Le sens des choses, la notion d’apprécier le beau, d’être touché par autre chose que le pratique, l’efficace, d’être dans la contemplation béate et vide d’un papillon, du champs de l’oiseau, nous quitte sans même que nous nous en apercevions, dans ces villes énergivores pleines de lumières publicitaires qui ont effacé les étoiles.

Donner un autre sens, c'est traduire dans un nouvel idiome plus vaste que le premier (Métamphor), au risque que la métaphore elle-même soit débordée. En faisant survivre le texte d'origine, elle le transforme, elle en fait autre chose. Comme une roue qui tourne,  elle fait prendre le risque d'un détournement, d'une catastrophe.

Certes nous la suivons volontiers. Nous nous laissons transporter, déplacer, car elle procure une prime de plaisir qui joue sur l'écart entre la chose signifiée et la figure. Mais dans le même processus, elle réitère, recouvre et reproduit un mouvement,  immaîtrisable. En ouvrant l'errance du sémantique, elle ne donne aucune assurance de vérité.[1]

 

Il y a dans le texte des métaphores scénographiques, qui deviennent textuelles et rejoignent l’écrit, la dramaturgie est elle même métaphorique. Il y a dans le texte des glissement de tropes, qui échappent au spectateur mais qui jamais ne le mettent dans une non réception de sens. Derrida parle de citations dans l’œuvre qui « travaillent » l’œuvre. La citation « convoque » l’autre, son fantôme, à interroger le vivant de la représentation.

 

Ce qui se passe avec le Théâtre, c’est l’émergence de traces depuis un lieu, celui de la parole issue elle même de la différAnce que produit le texte. Quand on joue un auteur mort, on entend sa parole, l’acteur s’entend de sa parole. il y a donc production de fantômes. Le lieu où se produit cette apparition est le plateau. L’apparition nécessite, pour qu’elle ait pleinement lieu, le sacrifice de  la propre parole de l’acteur. On parle d’incarnation, ce qui me semble une erreur. Il faut arriver à une foi en l’acte théâtral pour qu’ait lieu non l’incarnation mais l’apparition qui stupéfie le spectateur. Se désincarner, non incarner. L’auto affectation de la parole de l’acteur fait le travail. Il s’entend « EN » l’auteur. Ce qui peut bien sûr provoquer du fantasme, des symptomes divers, des paranoïas. Quand bien même l’auteur est vivant, le  texte proféré lui, en tant qu’écriture,  est déjà de la parole morte.

Le processus hantologique² est dès lors  à l’œuvre.

Un spectateur m’a dit, j’ai arrêté d’essayer de comprendre je me suis laissé aller aux images, à la musique des répliques et c’était bien, j’ai rit aussi.

L’image elle, est chaque fois, dans chaque représentation , en construction ; elle se révèle. Je sais en tant qu’auteur qu’elle surgit de l’écrit, donc d’une intimité, d’une impudeur totale, dont j’ai honte. Il faut que l’acteur ait cette conscience de produire du sens, et encore, en a t il les clefs.

Des spectateurs disent : on n’ose pas rire de peur de vous déranger !  Dommage.

A quel « texte  de théâtre » s’attend on ? A quelle histoire, quel pitch s’attend on au théâtre aujourd’hui ? Ce n’est pas du cinéma, c’est du vivant. Mais nous avons été tellement soumis à du « mort », que ce vivant là nous ne l’acceptons plus. Il nous faut de la performance, du sport, du combat, du sexuel, de la farce, alors que les génocides nous entourent.

Alors oui, ce texte tente de réveiller, d’interroger, pas de faire un compte rendu Historio-Géo- Politico de notre condition de damnés, c’est de la musique d’images et de sons, de mouvements dans une liberté sculptée dans lumière d ‘un monde fantomatique, mais c’est aussi des portraits de notre lâcheté, de nos ridicule d’humains.  Peut être est ce cela qui est difficile, devoir mettre son imagination en marche. Et de se laisser aller, sans essayer de devoir coller un sens qui n’y est pas et dont le pouvoir nous a greffé l’ersatz que nous essayons de coller sur tout ce que nous ne comprenons pas, histoire de ne plus savoir comprendre, définitivement.

Les acteurs sont eux même emportés par le texte qui permet de formidable possibilités ludique, mais aussi de réflexion. Et c'est le propre de cet art. Les acteurs s'approprient  ce texte, et c'est merveilleux. 

 

 

1 Pierre Delain

2 Concept de Derrida - étude  des fantômes qui nous constituent

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