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L'Agrithéâtre

L'Agrithéâtre

le lieu culturel qui se construit avec ceux qui sont là


A propos de ma relation à notre travail.

Publié par Agrithéâtre sur 18 Décembre 2023, 15:08pm

Jusqu’au bout des planches

Puisque c’est ce terme, planches, qui désigne le plateau de théâtre jusqu’à désigner l’art lui même. Plutôt un autre endroit du réel, l’inconscient certainement. Rien ne me prédestinait au théâtre, ni aux mathématiques, encore moins à passer l’hiver de ma vie dans une époque aussi dénuée de clarté que la notre, et dans un département dont l’encrage rural n’arrange pas les choses.

Ma formation d’acteur avec un assistant, terme un peu pompeux, d’Eugénio Barba, ce fondateur de l’Anthropologie théâtrale et du « tiers théâtre », soit le théâtre d’un « tiers monde », à savoir d’un tiers exclu. Exclu de quoi ? Mais d’un monde de production, de consommation, donc d’aliénation. Ce théâtre visant à un regard sur notre condition humaine, sur l’anthropos donc. Ce mammifère debout (erectus), ingénieux (sapiens) et coétéra. Ma pratique du théâtre, qu’elle soit appréciée ou pas là n’est pas la question, a été une dérive du travail de mes maitres, une dérive personnelle, intime, dans laquelle certains me suivent encore. Les principes très radicaux et quasi dogmatiques de ce courant du théâtre, dit Grotowskien, (ou Barbasien) est bien évidemment très opposé aux courants Russes et Américains des écoles de Lee Strasberg et de Constantin Stanislavski, méthodes psychologiques par ailleurs très efficaces pour un type de théâtre ( et de cinéma) très psychologique. Il semble évident  que les planches nécessitent un « décalage métaphorique » mettant en marche chez le spectateur un travail ( culturel et inconscient) de sémiose, à savoir de fabrication de sens. Aristote parlait et définissait la Catharsis, soit une transformation du spectateur par la représentation. Le théâtre actuel subventionné, est un théâtre de consensus bourgeois, dans la même ligne que les radios nationales telle France inter et France culture. Il y a une esthétique, un type de jeu d’acteur servant le propos et proposant aussi un certain vedettariat ( comédiens connus, vieillissants et attirant le public : citons Pierre Arditi, Clémentine Célarié, etc…). Le cinéma ayant la plupart du temps pervertit le travail des acteurs, par l’immédiateté du rendu exigé et l’argent qui l’achète, provenant de fonds publics obtenus grâce à un cahier des charges exigé auquel il est préférable d’adhérer. Bien sûr, tout n’est pas à rejeter, et bien des films peuvent constituer  des remises en questions radicales de nos sociétés, mais contribuent souvent, malgré tout,  à fabriquer un consensus, une opinion dominante. Pris dans les rets d’une occidentalité inhérente à cet art de la représentation de nos sociétés, la production de la représentation cinématographique ou théâtrale demeure relativement conventionnelle.

Le théâtre, contrairement au cinéma qui fixe et éternise l’acte du jeu, le théâtre  lui est un art vivant, impliquant le logos et l’icône dans une sémiose vivante opérée sous nos yeux avec ce « risque de mort » dont parle Antoine Vitez. Eugénio Barba avait été interpelé par l’art asiatique du théâtre, le no, le théâtre Balinais également, tout comme le fut le siècle précédent Antonin Artaud. Ce que Barba réussit à opérer, chose sur laquelle Artaud avait échoué, c’est à chercher dans le théâtre l’universalité de cet art. Non un nivèlement des formes ou des styles, mais que la représentation dans différentes cultures, et leur échange, enrichit ( on s’en serait douté !) l’art du théâtre, celui de l’acteur, du musicien, des objets de la représentation. Cette recherche, cette interrogation, le théâtre Bourgeois nous l’ôte, faisant du théâtre une sorte de vitrine du conservatisme, avec des innovations très convenus, attendues, qui font que « on » va voir la dernière mise en scène d’Hamlet par « machin », qui va exploser les dernières bribes de sens caché d’une pièce que l’on dit éternelle, à grand frais d’effets, ou d’une « déconstruction » radicale qui va flatter le snobisme d’un public finalement assez ennuyé tout aussi bien que l’enthousiasme d’une jeunesse dans la découverte d’un art si loin des dématérialisations dont elle est le spectateur désormais obligé.

Compliqué la culture !

Alors Barba il prend des comédiens dans les pays où il passe, ils jouent dans leurs langues, ils s’engagent corps et âmes dans des vies ascétiques, mais ils sont dans l’art, absolument dans l’art, définitivement dans l’art collectif et total. 

Benjamin Sisqueille

Je laisse ici la parole à Raymonde Temkine, célèbre critique de Théâtre du siècle passé.

Rien ne prédestinait Eugenio Barba au théâtre, et lui-même ne s'est pas découvert d'emblée une vocation de metteur en scène. Né en 1936 à Brindisi, fils d'un officier mort des blessures reçues au cours de la Seconde Guerre mondiale, il est enfant de troupe jusqu'à dix-sept ans. Peu tenté par la carrière militaire mais déjà par l'aventure, il déserte l'école et, en auto-stop, s'achemine vers le nord. À Oslo où il se fixe, il entreprend des études de lettres et d'histoire des religions ; pour vivre, il sera débardeur, ouvrier ferblantier... L'Asie exerce sur lui un tel attrait qu'il s'embarque comme matelot-mécanicien sur un bateau à destination de l'Extrême-Orient, baptisé Talabot (titre de l'un de ses spectacles). Il retournera fréquemment en Inde, à Bali, au Japon. De retour en Norvège, il obtient une bourse de l'U.N.E.S.C.O. pour des études de théâtre à conduire en Pologne. Il est prêt à repartir, déçu, quand il rencontre Jerzy Grotowski, dont il est pendant trois ans l'assistant au Théâtre-Laboratoire d'Opole (1961-1964). Là, il se pénètre de l'importance de la technique pour l'acteur et de l'efficacité d'une scénographie où scène et salle s'interpénètrent. Il apprend l'exigence, la rigueur et l'éthique du métier. Doué pour la communication, Barba est le premier à faire connaître à l'étranger le travail de Grotowski encore confiné en Pologne. Ainsi apparaît-il comme son disciple, et il est vrai que l'Odin Teatret fondé par Barba à Oslo, en 1964, s'engage dans le même type de recherches reposant sur un travail intensif du corps et de la voix de l'acteur, en référence à Stanislavski, Meyerhold, mais aussi aux traditions orientales. Mais c'est paresse d'esprit que de faire encore de lui un « disciple de Grotowski ». Il y a longtemps que Barba a conquis son originalité et que les activités de ces deux personnalités de premier plan, liées toujours par la plus grande amitié, ont divergé. « Il faut toujours partir d'un point concret », dit Barba. « L'important est qu'à la fin de la route on ne rencontre pas le modèle, mais soi-même. »

L'Odin Teatret

Les jeunes gens refusés par le Conservatoire d'Oslo que recrute Barba en 1964 se nomment Else Marie Laukvik, Torgeir Wethal, et sont toujours membres de l'Odin. Ils donnent aujourd'hui des cours dans ce même conservatoire. Mais Oslo boude Barba, et il connaît au début de sa carrière des moments difficiles. C'est à Holstebro que des édiles, jouant la carte culturelle pour favoriser l'essor de leur petite ville (alors 25 000 hab.) qui se consacre aux techniques de pointe, décident en 1966 de subventionner Barba après son premier spectacle, Ornitofilene. Ils mettent à sa disposition une petite ferme désaffectée et ses annexes, en plein champs, que l'urbanisation a aujourd'hui fait disparaître. Le soutien municipal ne s'est jamais démenti. Si Holstebro est connu dans le monde, il le doit à l'Odin Teatret qui accueille en permanence troupes et chercheurs, où des séminaires se déroulent fréquemment, où des spectacles de haut niveau sont invités.

Fièvre Jaune

Barba fixé à Holstebro, des Danois entrent dans la troupe : Iben Nagel Rasmussen, Tage Larsen, Ulrik Skeel... Au fil des tournées, des éléments étrangers les rejoignent : l'Italienne Roberta Carreri, l'Anglaise Julia Varley, des Canadiens, toujours présents ; mais des Finlandais, des Espagnols, des Sud-Américains sont aussi passés par l'Odin. Les premiers spectacles sont d'inspiration nordique : Kaspariana (1967), et Ferai (1968), qui dès l'année suivante, porte le renom de l'Odin Teatret en Europe. À partir de là, tous ses spectacles sont joués en France. Min Fars Hus (La maison du père) inspiré librement de la vie de Dostoïevski (1973) est une œuvre maîtresse où se révèlent l'originalité et la force du metteur en scène, ainsi que la maîtrise des moyens d'expression scénique de la troupe, maintenant  internationalement  connue, et particulièrement célèbre en Italie et en Amérique du Sud. Viennent ensuite Come ! and the Day will be ours (1976-1980), Cendres de Brecht (1982), Oxyrhyncus Evangeliet (1985-1987), Talabot (1988). Les dispositions scéniques varient, mais placent toujours acteurs et spectateurs dans un rapport de proximité, aussi ne peuvent-ils accueillir qu'un public restreint. Ces spectacles ne reposent pas sur un texte préexistant, mais développent un thème reflétant les préoccupations sociales et politiques de Barba, qui, par soif de justice, se sent proche des marginalisés et des révoltés.

Le Tiers Théâtre

À partir de 1973, parallèlement à ce théâtre de laboratoire, se développe une autre ligne de création. Barba se prend d'intérêt pour des groupes qui ne sont pas des amateurs mais pratiquent le théâtre à leur façon, généralement sans aides ni reconnaissance officielle, « gens différents » qui établissent des rapports autres que ceux d'acteurs-spectateurs avec un public qui ressent les mêmes besoins souvent informulés. Ces groupes travaillent ici et là en s'ignorant. Barba va leur apporter son aide et jeter un pont entre eux. Il devient le rassembleur d'un « Tiers Théâtre » – le terme est de lui. C'est de ces groupes qu'il est question dans son livre The Floating Islands traduit en français sous le titre : L'Archipel du théâtre. Barba donne l'exemple – très professionnel quant à lui – de ce type de théâtre avec Le Livre des danses (1974), Anabasis (1977), Le Million (1978). Il s'agit de spectacles de rue avec masques, échasses, grands tambours enrubannés et oriflammes. Dans les communautés paysannes des Pouilles, de Bretagne, chez les nomades du Burkina Faso, dans les tribus primitives d'Amazonie, il institue le « troc » : les spectacles de l'Odin contre ceux de leurs hôtes ; échanges entre des cultures différentes, tendant à une compréhension mutuelle et brisant l'économie de marché.

L'anthropologie théâtrale

Barba, ainsi que la plupart des maîtres de la scène, considère l'acteur comme la composante essentielle de l'art du spectacle. Mais plus qu'aucun, du fait de ses incessants déplacements et de ses multiples contacts, il est à même de connaître des différences induites, par la nature de la société où œuvre l'acteur, dans ses moyens d'expression. Or ce ne sont pas les différences qui lui importent, mais « ce qui est constant, face à la variation des cultures ». Constatation de portée générale : « Dans une situation de représentation [l'homme] utilise sa présence physique et mentale selon des principes différents de ceux qui gouvernent la vie quotidienne. » L'anthropologie théâtrale, dont Barba pose les fondements en créant en 1979 l'I.S.T.A., se propose de déceler, dans l'art de l'acteur, le « transculturel » qu'il situe au « niveau préexpressif ».

« L'I.S.T.A. est un laboratoire de recherches interdisciplinaires. L'I.S.T.A. expérimente. C'est un lieu où l'on transmet, transforme et traduit une nouvelle pédagogie théâtrale. » Les sessions qu'elle organise – quelques journées de confrontation et de réflexion de spécialistes de disciplines diverses – ont eu lieu à Bonn (1980), Volterra (1981), Blois et Malakoff (1985), Holstebro (1986), Salento (1987). La session de 1990, cautionnée par l'université de Bologne, se présentait comme « Université du théâtre eurasien ». Car toutes les sessions de l'I.S.T.A. requièrent des acteurs et danseurs, parmi les plus grands, venus du Japon, de Bali, de l'Inde et de l'Indonésie, pour des démonstrations magistrales qui sont analysées et commentées. C'est que leur technique, très codifiées, mettent en évidence le bios propre à l'acteur et permettent de dégager des principes et des règles dont l'acteur occidental peut tirer profit, non en se réduisant à l'imitation mais en maîtrisant sa propre expressivité.

Les petites îles de l'archipel Odin

Un des traits spécifiques des acteurs de l'Odin est qu'ils s'astreignent à un entrainement continu et individuel. À leur niveau d'expérience, ce travail consiste à structurer des modèles de comportement, ce qui aboutit souvent à des séquences dramaturgiques montées dans un spectacle mis en scène par Barba et présenté au public. Il en résulte, en marge des grandes réalisations de la troupe, maintes petites formes, chacune gérée, sous son entière responsabilité, par l'acteur ou le petit groupe qui l'a élaborée. Certaines font date : en 1984, Il Romancero di Edipo de Toni Cots ; Marriage with God d'Iben Nagel Rasmussen et César Brie. En 1987, Roberta Carreri crée Judith, qui remporte un tel succès qu'elle n'a pas cessé de le présenter en tournées ; en 1989, Memoria d'Else Marie Laukvik et Frans Winther ; en 1990 Le Château d'Holstebro de Julia Varley ; en 1991 Itsi Bitsi d'Iben Nagel Rasmussen, Jan Ferslev et Kai Bredholt. Cette multiplicité d'activités individuelles prouve qu'à l'Odin Teatret la créativité n'est pas dévolue qu'au chef de troupe. L'acteur y est authentiquement créateur.

Raymonde Temkine,

 

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