Un des derniers metteur en scène communiste, n'ayant jamais renoncé à cette contradiction, être subventionné par le pouvoir, pour faire un théâtre élitiste dans une banlieue populaire.
J'ai vu plusieurs mises en scène de lui dans mon séjour parisien, toujours étranges et puissantes. L'homme était de noir vétu et errait dans les escaliers du théâtre, un jésuite communiste, étrange.
Mais ce théâtre restait à exister encore, je ne crois pas qu'il ait démissionné du PCF à l'époque où c'était de mise chez les intellectuels et les artistes, tel Antoine Vitez, et d'autres encore.
Ce type de théâtre et d'homme, disparait avec lui, mais c'est aussi un monde d'espoir politiques, de luttes, de courage artistique, d'amour du théâtre, de contradictions qui sombre avec eux.
Un journaliste livre cet hommage que je relaye, en la mémoire de Bernard Sobel, qui avait mis en scène Maria Casarès dans le rôle du Roi Lear de Shakespeare, quelle audace !
Bien sûr, il y a le monde de la culture dite officielle, mais au delà existe un théâtre qui, au delà du théâtre Bourgeois qui innonde nos scènes et de celui soi disant Politique, qui hélas n'est que plein d'idées conventionnelles, dans la mode : "on fait style, on dérange", questionne ses références, questionne l'humain au plus profond de ses angoisses et de ses dérives. C'est à dire à la racine même de la culture Grecque, celle qui a bâtit cet occident qui s'effondre, précisément, de son renoncement à la culture des peuples qui l'ont constitué. Et que désormais le Libéralisme déviant, ronge d'une absence d'humanité qui confine définitivement au tragique des génocides.
Le carriérisme n'est pas une position politique. Il accompagne le pouvoir sans en réfléchir les leviers. Être "en marge", c'est garder une position de haute lucidité, certe souvent critiquée et incomprise, mais qui doit se targer d'une irréprochable noblesse, afin de ne pas utiliser le pouvoir et ses leviers, à des fins de vérité, mais du questionnement anthropologique qui constitue l'existence.
Au centre de la scène, sur un socle de (fausses) pierres blanchies sous le soleil, la souche d’un vieil arbre extirpé de la terre noire par je ne sais quel cataclysme, probablement une tempête à écorner les bœufs. Elles sont là, ces vieilles cornes, jaillissant de la souche, l’une plus rabougrie que l’autre, toutes deux délavées par le temps, ayant viré au gris terne, mais dressées encore, fières, non mais.
Le dernier travail de la compagnie Bernard Sobel
C’est autour de cet autel que Bernard Sobel a conçu la mise en scène de ce qui passe pour l’ultime pièce d’Euripide, Les Bacchantes. Une pièce dont le maître de cérémonie, celui qui mène la danse et est le principal protagoniste n’est autre que Dionysos, le dieu du théâtre, le dieu amateur de cornes de taureau.
Nous assistons aussi, non sans quelque trouble, à l’ultime travail scénique de Bernard Sobel (né en 1936), à la clôture annoncée par les intéressés de l’aventure que le metteur en scène et Michèle Raoul-Davis, sa fidèle collaboratrice, mènent au théâtre depuis plus de soixante ans. Longtemps à Gennevilliers où il n’y avait rien avant que Sobel et quelques amis ne fondent l’Ensemble théâtral de Gennevilliers, plusieurs décennies avant que le théâtre de la rue des Grésillons ne devienne Centre dramatique national, ce qu’il est toujours aujourd’hui.
« C’est le dernier travail que la compagnie Bernard Sobel subventionnée peut faire », dit Sobel. Les subventions sont taries, elles ne seront pas renouvelées, lui a-t-on fait savoir (lire ici). Et on voit mal Sobel, contrairement à nombre de ses pairs, se jeter dans les bras du théâtre privé (lire à ce sujet la passionnante enquête parue dans Le Monde daté des 14 et 15 janvier) qui, au demeurant, ne le connaît pas.
Vers la fin du spectacle, l’un des acteurs ôte son masque et vient le déposer sur la souche au centre de la scène. Le masque nous regarde. Au-dessus des gradins du Théâtre de l’Epée de Bois, sur un velum tendu pour des raisons sans doute aussi acoustiques, deux grands yeux dessinés nous regardent eux aussi depuis le début du spectacle. Le théâtre tel que le conçoit depuis longtemps Bernard Sobel se résume bien dans ce regard porté vers l’autre. Ni inquisiteur, ni donneur de leçon, ni malin. Franc et fraternel.
Un bout de souche
Pour Sobel, le théâtre aura toujours été et reste éperdument le lieu du questionnement et d’un possible déchiffrement du monde. Et, partant, du penser ensemble, du discuter ensemble, œuvrant à la différence, au rebours de toute pensée unique. D’où le choix de la pièce d’Euripide qui s’est imposé à lui aujourd’hui, en ces temps de troubles, de confusions et d’exclusions, Les Bacchantes.
Dionysos, maître des lieux donc puisqu’on est au théâtre, est le premier à parler. Il revient d’un long voyage en Perse, en Arabie et en Asie « peuplée de villes fortifiées où se mêlent Grecs et barbares » (nouvelle traduction de Michèle Raoul-Davis). Il arrive à Thèbes. Ce bout de souche informe au milieu du plateau, c’est le mausolée de sa mère, Sémélé, que Dionysos dit avoir caché des regards hostiles sous une vigne mais la vigne s’est desséchée. Le père de Sémélé, Cadmos, le fondateur de Thèbes, a eu d’autres filles. L’une d’entre elles a eu un fils, Penthée, et c’est à lui que son grand-père a remis « ses privilèges et son pouvoir royal ». Un pouvoir que le nouveau maître a fondé sur le repli, l’exclusion.
Le nom de Dionysos est banni, effacé et ses rites interdits. « C’est pourquoi j’ai changé de forme et pris l’apparence d’un mortel », dit « Bromios le frémissant » (autre nom de Dionysos) qui sera secondé dans sa vengeance par les Bacchantes qu’il va rejoindre dans « les replis du Cithéron », la montagne thébaine, où se trouvent également les femmes de la cité ayant quitté leur logis et leur métier à tisser entraînant la fureur de Penthée qui voit son pouvoir ainsi étrillé.
Beauté du commun
Avant que Dionysos ne revienne de la montagne (il fait ça en un clin d’œil, bien plus vite que le TGV) et que tout s’enchaîne, il y a cette très belle scène entre deux vieillards pour lesquels Sobel manifeste une tendresse fraternelle. Le vieux Tirésias retrouve le vieux Cadmos et, de concert, ils garnissent leur bâton et couronnent leur front de lierre pour honorer Dionysos. Ils sont guillerets, ils se sentent soudain jeunes, ils veulent aller danser. « Le dieu ne distingue pas le jeune du vieux dans la danse / il veut être honoré en commun partout », dit Tirésias. Plus tard, il dira que l’humanité n’est pas une mais deux, plurielle donc, que les « aliments secs » ne vont pas sans « le jus de la grappe ».
C’est ce commun, ce partage, que refuse le tout puissant Penthée. Et il entend couper la tête à l’« étranger » qui vient d’arriver, « un charlatan », à celui dont il ignore qu’il n’est que la forme humaine d’un dieu. C’est bel et bien le corps de Penthée qui sera démembré après que Dionysos aura usé d’un stratagème en conseillant au maître de Thèbes de s’habiller en fille pour mieux observer les Bacchantes.
A la fin, le théâtre ayant bien travaillé, le masque de l’acteur finira par être déposé sur la souche enrubannée de lierre et de mousse, comme une offrande. Et c’est ce masque abandonné qui nous regardera encore après le salut des acteurs jusqu’à ce que l’homme en noir, Bernard Sobel, seul d’abord puis avec sa collaboratrice et petit à petit entouré de toute toute la troupe (compagnons de route, comme la scénographe Jacqueline Bosson, les acteurs Jean-Claude Jay ou Vincent Minne, et jeunes recrues venues du Conservatoire) ne vienne au bord du plateau parler avec les spectateurs. Lui, le vieux metteur en scène, le vieux communiste « qui essaie d’être communiste » et voit dans la pièce d’Euripide, « un concentré de désastres », un « outil » pour réfléchir à « la rupture anthropologique que nous vivons », à « la peur qui envahit l’esprit humain ». Et de poser la question : « comment on va faire ? » Oui, comment on va faire ?
Théâtre de l’Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes, du jeu au ven 20h30, sam et dim à 16h, jusqu’au 11 février.