J’ai écrit environ plus de trente pièces et chacune d’elle me renvoi à des choses qui ont leur correspondance avec notre moment de confinement. Je pense que le siècle m’a traversé, avec son cortège d’idées, sa mode changeante, sa violence et sa bêtise langagière. Et en tant qu’écrivant du théâtre, je suis médium de notre époque et je voie notre devenir, et constate ma prédisposition. Ces quelques citations soit de dialogues, de prologues, de spectacles souvent en direction d’enfants et d’adolescents me renvoient à ce que nous vivons, à une violence d’époque.
Je vous les livre, et peut être ne les saisirez vous pas dans leurs essences comiques où tragiques. L’homme est ainsi, avant tout un être de langage, et il semble qu’actuellement « on »l’ai bâillonné avec un masque, isolé dans son chez soi, avec son réseau social, car il a plein d’amis, et qu’il ne lise plus du poétique mais du politique dans lequel il cherche une solution à sa déréliction.
Je vais enfin tenter après plus de trente ans d’écriture de faire éditer certains de ces textes qui me semblent encore avoir leur actualité. Je remercie Eliane Davy de m’aider dans cette tâche. Quant à ceux que j’écris en ce moment, encore faudra t il attendre avant qu’on n’en lise les prémonitions.
Je vous livre certains extraits de pièces assez récentes qui m’ont frappé à leur lecture.
Merci de me pardonner cet orgueil et bonne lecture à vous.
Il s’agit d’une jeune troupe de théâtre qui cherche par improvisation de retrouver la mémoire de leurs parents pendant les événements de Mai 68
Fascisme, fascisme, le fascisme est en marche partout en Europe, salaud tu es le valet du pouvoir
Le jeune CRS - . Hébété mais de quel pouvoir putain je vais me faire sauter dans ton cul espèce de porc de flic, charogne puante.
Alternativement le jeune militant , le poète, le jeune homme de droite pestent après l’histoire - .
L’histoire est tragique, vous avez voulu, vous les pères des utopies, lui donner une possibilité de faire surgir le bonheur et la paix du creuset de la mort d’où surgit la vie, toujours renouvelée. Le XX¨ siècle, et les suivants seront l’apothéose des tragédies, ouvrez vos yeux, nous avons passé notre temps à être trahis par le bonheur faux de familles incestueuses, car il n’y a que cela et uniquement cela, il y a l’interdit de l’inceste et sa perpétuelle transgression, qui nous terrorise, et nous avale, il y a la trahison des Macbeth, les fantômes des Hamlets, et la tragédie des génocides organisés sur lesquels nos yeux se ferment dans le sommeil des rêves de supermarchés et de hamburgers .
Nous sommes des légions de pleutres, des cohortes de fascistes prêts à se lever à la moindre injonction du père.
2008 « Ariane’s burn out » - Extrait
Ariane, une jeune comédienne jouant Eurydice tombe amoureuse de son partenaire qui interprète Orphée. Elle va faire sa carrière comme metteuse en scène et réécrire le théâtre classique dans des mises en scènes qui le déconstruise. Ce passage est tiré d’un moment de mise en scène d’Hamlet d’Heiner Müller par Ariane
Hamlet - . Solennel
J’étais Hamlet et je parlais avec le ressac, derrière moi les ruines de l’Europe1, tous les mythes de l’Occident était sur la scène du théâtre , le chœur tragique était là. Il commentait les trahisons des dirigeants et la compromission des artistes !
Entre Horatio
Horatio - . Mon ami, mon Prince, le Roi votre père était assassiné,
Hamlet - . Je me fout de mon père Horatio, reprend tes esprits.
Les idéologies s’effondraient, la misère des peuples gagnait les côtes du sud…
Le chœur - . Démobilisé De quel sud parle t il ? De quelles misère ? De quelles royautés déchues ?
Tout nous divise dans nos royaumes, nous devons faire corps, nous devons faire face, nous devons être ensemble !
Ariane - . Recentrant un chœur quelque peu perturbé Il parle de toutes les migrations !
Hamlet - . …et dans l’horreur d’une Grèce éreinté par la dette des banques, la tragédie s’écrivait dans la rue, Horatio, tandis que sur les frontières des Balkans…
Ophélie - . Très inquiète, affolée aussi. Monseigneur aimé, vous parlez d’un futur qui n’est pas , votre esprit dérangé voit des choses qui ne sont pas encore.
Ariane - . Passionnée Reprend plus fort, interrompt le !
Ophélie reprend très vite
Ophélie - . Monseigneur aimé, vous parlez d’un futur qui n’est pas, votre esprit dérangé voit des choses qui ne sont pas encore.
Horatio - . Ophélie a raison, reposez vous mon prince, calmez votre esprit de ces intuitions sans concepts !
Hamlet - . Enorme On croirait entendre Emanuel Kant ! « intuition sans concept », pourquoi ne pas concevoir dès lors qu’un jour on fera des images du cerveau et qu’on fera du rêve un théâtre d’ombre, Totalement Halluciné dont la représentation sur l’écran du présent donnera de nos vies, et à nos vies ( !) la saveur de la mort ! Je les vois !
Horatio - . Monseigneur, vous voyez ce qui n’est pas, chassez ces spectres !
Hamlet - . Je vois Staline et Hitler s’embrasser, je vois le monde s’embraser tel un feu de forêt, je suis la machine à écrire, je suis dans la tourelle du char, à Tian Anmen, j’alimente la banque informatique de toute mes frappes, sur les claviers des charniers de l’holocauste, je prend des vols low coast pour les paradis fiscaux, pour aller baiser des enfants en Asie, j’ai été le défoliant du Viet Nam, et l’acteur de série qui te fait oublier l’assassinat de ton père, on m’a vendu une hache pour découper mes frères et un crédit pour faire des enfants, je cherche…
Il a un trou de texte et appelle Ariane au secours
Putain Ariane le texte, je cherche, je cherche….
Ariane - . Elle souffle….Je cherche les Indes et je trouve l’Amérique
Un temps, celui de comprendre la phrase
le monde à venir ne sait pas…
Le texte lui revient
Hamlet - . …Ne sait pas à quoi il tient. Je suis nu dans la nuit Américaine, sur la peau de ma pensée le napalm de la culture du rêve Yankee me brûle, je suis incendié par la pornographie universitaire, je suis le de - venir-machine, et je n’ai pas peur, je deviens l’être-machine avec les morts autour de moi, dans la rue , dans le métro, les plages balnéaires sont pleines de cadavres au soleil… l’été…2
Ariane - . Très attentive à tout mouvement Allez, vous autre, secourez le, prenez soin du prince !
2001 Prologue de l’Aigle de Prométhée
Il s’agit de revisiter la conférence des oiseaux d’Udi idim Attar, poète iranien du 12¨siècle, et de la mêler avec la tempête de Shakespeare
Prologue dit de la chouette, en début de spectacle
La chouette - Tout autour de la terre des satellites mettaient en contact les hommes depuis la fin du vingtième siècle. La terre était devenue une ville : la ville-monde. Les ordinateurs reliaient les hommes qui restaient chez eux, dans de petites cellules, devant les écrans, et imaginaient le futur. Ils s'aimaient de leurs images. Ils réalisaient des images de leurs rêves, Ils avaient atteint le mensonge suprême : croire que les distances effrayantes de l'univers pouvaient se parcourir alors qu'ils ne bougeaient plus de leurs cellules, sur les écrans des murs, leurs images se rendaient visite.
Plus personne ne touchait plus personne.
L'homme de rêver vaincre le temps, se perdit, du temps passé à le domestiquer. L'esclave voulût dominer le maître sauf que ce maître n'était pas un ennemi mais un miroir.
Mais les hommes au cours du vingt-cinquième siècle furent atteints de curieuses infirmités et maladies de toute sortes, beaucoup disparurent et la ville devint le désert-monde tant redouté. La terre fût pour l'avenir un désert de béton. Les fenêtres, les fissures des murs, les toitures éventrées par la pluie, les égouts devinrent le repère des oiseaux. Sur quelques îles que la ville-monde n'avait pas pu dévorer, les oiseaux commençaient à revenir
Sur une île appelée Bretagne, qui s'était détachée de l'ancien continent Europe-France, vivait encore un vieil homme qui avait pour nom Galaad. Il avait un fils nommé Ucello.
2003 Chute accidentelle d’un pot de fleur rue Cauchy – Prologue
Une petite ville de province est le siège d’événements étranges en rapport avec une modernité marchande et sauvage. Quelque personnages exposent leurs idées. Monsieur Teste est un intellectuel joué par un enfant.
Teste - . Au début on a plein d’idées, et puis les idées on vous les imposent.
Y’a des gens, tout à coup, on ne sait pas pourquoi quand on est enfant, qui font irruption dans votre vie avec un tas d’idées. Mais énorme, le tas !
Et vous n’avez même pas le temps de ranger le petit tas d’idées que vous vous êtes faite, que vous vous trouvez devant le gigantesque tas d’idées qu’on vous colle. Vous imaginez le désordre !
Regardez une chambre d’enfants, aujourd’hui, avec le bordel qu’il y a !
des pokémons, des dinausaures, des barbies, des Shreks, des Shroks, des Shriks, des pokésaures, des dinaumons, des ....et bien, c’est pas rangé ! C’est par terre ! Et au milieu de tout ça vous trouvez une idée, un bouchon de champagne qui datte de la dernière fois où les Dupuis sont venus dîner, une seule idée, arrêtée, seule, dans la chambre au milieu de tout ce merdier. Et vous ramassez votre idée arrêtée.
Et c’est pour tout le monde comme ça, inutile de se mentir ! Chacun est là au milieu de son bordel avec son idée arrêtée.
Vous imaginez toutes ces idées arrêtées, l’embouteillage que ça fait ! Parce que ça progresse plus, elles ont l’espace devant, l’espace derrière, mais elles ont été tellement habituées à être arrêtées , les idées, que personne klaxonne, tellement il est habitué à pas du tout circuler, personne !
L’idée arrêtée est triste. C’est un peu comme un saumon qui nagerait à la même vitesse que la rivière.
L’intitutrice - Les enfants, aujourd’hui, nous allons aborder l’éducation sexuelle ! Le saumon remonte vers la source de la rivière pour....
Pour s’accoupler, afin de féconder ses œufs qui vont donner naissances à ...
Des petits saumons, c’est bien .
1999 - Chanson dans « Ode au temps qui passe »
Sur les écrans géants des rêves
S’affichent les richesses en stocks de nos ennuis
Tandis que l’amour s’enfui
l’amour s’enfui
l’amour s’enfui
Et l’argent le crève
On achète en gros ce dont on n’a pas besoin
On a l’impression de ne manquer de rien
On vit de mode et au petit matin
On se retrouve nu car on n’a rien
Rien de cette terre
Rien de notre sang
Exangue de nos mémoire
Exangue de notre mémoire
Sur les écrans géants des rêves
S’affichent les richesses en stocks de nos envies
Tandis que l’amour s’ennuie
l’amour s’enfui
l’amour s’enfui
Et l’argent le crève
On nous dis ça va, ça va aller demain
On a l’impression qu’ça finira bien
On regarde un jour le ciel
Et On rate l’essentiel.
Sur les écrans géants des rêves
S’affichent les richesses en stocks des différences
Nos vies prennent ce goût de vide
Du mensonge
Du mensonge
Que l’argent achète
Voilà et merci beaucoup à ceux qui prirent le temps de me lire.
1 Début de Hamlet Machine d’H.Muller
2 Tout ce passage est un reécriture dans l’esprit du Hamlet Machine d’ Heiner Muller