Le caractère essentiel de la culture n’est sans doute pas immédiatement perçu par la population. On peut le considérer comme le produit d’une fonction primordiale de la culture : celle de dire ce que la société ne veut pas entendre et de la prendre à revers de ses certitudes. Cette fonction est à la fois essentielle parce qu’elle est un moteur fondamental de l’évolution sociale et politique, mais n’est pas perçue comme essentielle parce qu’elle s’oppose précisément à la sécurité d’une valorisation de la société actuelle, qui est naturellement forte en temps de crise. Autrement dit : lorsqu’on cherche la stabilité, le désordre fondamentalement créateur de la culture n’apparaît pas immédiatement comme indispensable à la population. Et, en tout cas, certainement pas aux autorités.
Mais alors, un autre problème se pose immédiatement : pourquoi demander des autorités politiques l’autorisation d’accomplir cette fonction subversive, et plus précisément essentielle parce que subversive ? Comment demander la conservation des cadres existants de la culture si le rôle de la culture est précisément la critique de cet existant ? Si la fonction essentielle de la culture est ici, le secteur ne peut attendre de l’État que cette fonction soit reconnue. Il faudrait donc se passer de cette autorisation. Le problème est évidemment que c’est cette fonction subversive même qui est problématique au sein d’un secteur soit très marchandisé, soit fortement subventionné.
Si on a beaucoup entendu ces dernières semaines le monde du théâtre, parce qu’il hérite d’Athènes l’idée d’incarner une représentation en actes de la cité, celui des musées est resté singulièrement atone, tout comme celui du cinéma, où les tournages ont pu continuer, ou du livre, qui a tiré son épingle du jeu lors de cette année de tous les dangers.
La partie la plus marchandisée du secteur peut apparaître comme la plus « utile », mais son poids économique demeure insuffisant pour peser sur tout le secteur, tandis que la partie la plus subversive et donc essentielle du secteur ne peut jouer de ce caractère face à un système social et économique qu’elle remet en cause
Bref, la leçon de la pandémie devrait bien être moins un combat pour la culture en général qu’un combat pour la mise en avant du caractère vital de la culture, mais délivrée de la croyance que les politiques culturelles fortifieraient nécessairement la démocratie, entretiendraient la citoyenneté, lutteraient contre les inégalités sociales et amélioreraient l’humanité.
Joseph Confavreux
membre du comité de rédaction de la revue Vacarme, a codirigé le livre La France invisible (La Découverte, 2006)
Illustration ; le Wooster group. Undergroud New Yorkais