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L'Agrithéâtre

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le lieu culturel qui se construit avec ceux qui sont là


Chroniques de lectures peu recommandables 8 : Olivier Neveux et le Macronisme culturel

Publié par Agrithéâtre sur 10 Octobre 2022, 10:48am

Chroniques de lectures peu recommandables 8 : Olivier Neveux et le Macronisme culturel

Professeur d’histoire et d’esthétique du théâtre à l’Ecole normale supérieure de Lyon, l’hyperactif Olivier Neveux est un esprit vif qui nourrit le débat. Dans son dernier ouvrage, il analyse les rapports entre théâtre et politique. Et entame un tour de France pour rencontrer les professionnels et le grand public.

Qu’est-ce que le « macronisme culturel » ?
C’est peut-être faire trop d’honneur aux fondés de pouvoir actuels du Capital que de les créditer d’une pensée sur l’art et la culture. Le macronisme est banalement néolibéral, c’est-à-dire aimanté par l’intérêt privé (les profits de quelques-uns), dépourvu de toute vision historique, sinon celle d’une agitation toute start-upienne au service du marché. Pour l’art et la culture, les choses fonctionnent comme ailleurs, peut-être de façon plus brouillonne et improvisée : au nom d’arguments comptables et « pragmatiques » (s’adapter au nouveau monde) ou de communication sympathique (la souplesse, la fluidité, la proximité), le macronisme précarise, vassalise, privatise et détruit. Et il rencontre pour cela, parfois, de valeureux agents dans le monde artistique, qui trouvent, eux aussi, qu’il faut « être de son temps ». Car le macronisme culturel est aussi la conséquence d’une victoire idéologique. Il rencontre heureusement quelques résistances (plus ou moins organisées, vives, conséquentes).

La majorité actuelle attaque-t-elle selon vous le modèle culturel français ? Le remet-elle en cause ?
Elle attaque de toutes parts les acquis et les conquêtes sociales, des retraites à la fonction publique, etc. Il n’y a aucune raison qu’elle ne le fasse pas aussi pour les questions culturelles. Une tribune, tardive mais intéressante signée par des organisations syndicales, le disait cet été. Il faut préciser : il ne s’agit pas, pour autant, de valider ce qui existe en l’état. Je soutiens que le service public ne démérite pas de ses missions — en regard de ses moyens, de ses possibilités et de la structuration inégalitaire de notre société. Cela ne signifie pas, loin de là, pour autant qu’il faille se satisfaire de ce qui existe et qu’il n’y a rien à en dire. Mais de la même façon que la SNCF était loin, très loin même, de répondre à ce que doit être un service public de transport, les attaques portées à son encontre ne la rende ni plus juste ni plus égalitaire (ni plus efficace). Il en va de même pour la culture.

Vous parlez de « dépolitique culturelle »...
Oui c’est là un mouvement récurrent. Tout tend à abstraire la politique de ce qui la conditionne : une pensée du conflit, de la délibération contradictoire, l’existence d’alternatives. Chaque chose ne se présente que sous couvert de « pragmatisme » ou de « réalisme ». Le personnel macroniste est pourtant shooté à l’idéologie. Certes il le dénie mais la nécessaire adaptation aux dynamiques du monde (tel qu’il nous emmène droit dans le mur) est une affirmation idéologique. Tout dès lors fonctionne de manière verticale, autoritaire : la façon dont ils ont traité cet été la mise en garde des cinéastes à propos de la nomination de Boutonnat dit le peu de cas qu’ils font de leurs interlocuteurs. Mais ce n’est là que la version policée de ce que les « Gilets jaunes » ont pu vivre, elles et eux, de manière policière et physique. La chose est d’ailleurs largement documentée : démocratie et néolibéralisme entrent inéluctablement en contradiction. Pour l’instant, c’est le néolibéralisme qui gagne.

Les élites délaissent le théâtre et la culture dite de service public ?
Je me fie à ce que dit Olivier Py du festival d’Avignon. Mais cela se vérifie, ailleurs, de façon, il est vrai, empirique. Si par « élite », on entend celles et ceux qui sont en position de pouvoir et de décision : cela fait peu de doute. Cela ne signifie pas, loin de là, que, par un phénomène de vase communicant mécanique, un vaste public populaire s’y soit substitué. Longtemps le théâtre a incarné en quelque sorte « plus » que lui-même. Le pouvoir se sentait requis de s’y intéresser, de s’y montrer aussi. Ce n’est plus le cas, il est symboliquement très dévalué. Il s’agit là d’une dynamique : la transformation sensible de la classe dirigeante et la déconsidération de l’art et des « sciences humaines » qui en est l’une des manifestations. Parfois, l’inculture au plus haut sommet de l’Etat est même valorisée (je me garderai bien, pour autant, d’expliquer la brutalité de leurs politiques par cette grossièreté arrogante : le « raffinement esthétique » n’est pas, à l’inverse, un rempart très consistant face à la barbarie).

Le théâtre est-il de plus en plus politique ?
Je ne sais pas trop ce que cela pourrait signifier. Mais assurément, l’heure est à la multiplication des revendications d’une essence ou d’une politique du théâtre — de la part des tutelles, des critiques et des artistes. Politique, d’une certaine façon, il l’est toujours. Ce qui m’intéresse, toutefois, c’est de travailler sur l’autre façon : celle qui ne considère pas la « politique » comme un donné mais comme une opération.

Vous stigmatisez la mode des spectacles engagés et citoyens. Pourquoi ?
Non, je ne stigmatise rien a fortiori pas le fait que le théâtre se soucie de rencontrer la politique. Je sais combien l’histoire du théâtre, du moins au XXe et XXIe siècles, est tributaire de ce que la politique lui a permis d’inventer. J’interroge plutôt les aventures du « théâtre politique » et, en l’occurrence, du mot « politique » dès lors qu’il est à ce point employé. Que vient-il recouvrir ? Désigner ? Quel type d’orientation ? Que fait-il au théâtre ? Et, à l’inverse : ce que le théâtre produit sur lui. 

Comment définiriez-vous la politique théâtrale actuelle de l’Etat ?
A l’image du reste de sa politique. Tout cela est très cohérent.

 

Bien sûr, les néo libéraux, encore eux. Mais la marchandisation de l'art était déjà dénoncée par Tadéus Kantor dans les années 70. Comme beaucoup d'autres choses d'ailleurs que les néo libéraux se sont hâtés d'effacer des tablettes de la culture, pour promouvoir un esthétisme sans grâce, qui donne l'impression que l'art désormais tisse une autre "toile". Celle de l'éphémère numérique, de l'installation comme métaphore absolue, et de l'image et de la représentation comme nécessaires à une culture devenue impossible, et souhaitée comme telle ; car penser fait réfléchir, et rend critique, et ce n'est plus entendable dans notre monde en fuite vers le mur de l'insignifiance. 

Neveux cible tout cela sans idéologie, ni parti pris. Ce que pour ma part, je regrette un peu. Mais la promenade qu'il nous propose dans son livre, sur la culture et l'état, est édifiante.

B. Sisqueille

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M
Bonjour Agrithéâtre !<br /> Comment s'intitule le livre d'Olivier Neveux ?<br /> <br /> Je partage en effet ce sentiment d'un discours qui a déjà été dit, sur des alarmes qui ont déjà sonné... Alors, qu'avons-nous de mieux à faire que de ressasser ?<br /> Inventer, "inouïr", bien sûr, mais la recherche artistique rend parfois si marginal qu'atteindre le haut du pavé du discours dominant semble inaccessible. (On peut aussi prendre le pavé par le bas et le lancer bien fort vers qui de droit...)<br /> <br /> Quand le "Macronisme" (vocable qui en réalité cache un manque absolu d'identité politique) s'appelalt encore "En marche", on pouvait toujours "descendre en marche". A présent qu'il répond aux aboiements orduriers des "Re-conquérants" en s'auto-gratifiant (et s'orthographiant) "Renaissance", nous n'avons plus qu'à souhaiter continuer de patauger dans les cendres (des cendres) d'un hypothétique Phénix , mort sans doute entre deux tours d'élection présidentielle (mais je n'ai pas eu l'info à ce moment-là, pour ma part...). Cet oiseau-là, qu'il s'appelle Capitalisme, Libéralisme, Néo-libéralisme, Darwinisme social ou Tatcherisme éclairé, ne nous fera certainement pas croire qu'il "s'auto-da-fe"pour adapter sa propre nouvelle forme aux contraintes des nouvelles formes du marché. Hormis sa dépendance de plus en plus marquée à la technologie, son rôle d'oppression par le travail reste et demeure le même, et ce de toute éternité.<br /> <br /> Le théâtre quant à lui n'a pas à être plus ou moins politique selon la qualité de l'air de la république ambiante. Il est politique, il est un regard et un discours possible sur la société contemporaine. Il n'est pas plus ou moins citoyen que quoi que ce soit (voire : qu'est-ce qui n'est pas, au final, un acte citoyen ?), mais s'inscrit dans la cité, dans le frottement incessant du tissu social sur lui-même et dans les étincelles qui en surgissent. Le théâtre (et l'art en ses formes, peut-être même) électrise, magnétise, dérive non pas d'une "renaissance", mais bien d'une volonté de mise à mort de ce(ux) qui nous oppresse, quelque soit ce "nous". Si un pouvoir conservateur était capable de créer son théâtre, un théâtre "de droite", sans doute verrions-nous s'élaborer des débats plus profonds que les questions de formes budgétaires qui hantent et possèdent de nos jours le discours social en général. Bref : ça sa saurait !<br /> <br /> <br /> PS : pour valider mon message, je dois identifier sur une série de photos des vélos. J'aurais préféré des Renoir ou des Boticcelli...
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A
Bien sûr que j'adhère entièrement à ton propos. Toutefois, quand tu dis que le théâtre est politique, ce qui est vrai depuis les Grecs, cela signifie que l'art est politique, et on sait où cela a conduit les toilettes, à siéger dans les musés avec comme pancarte "ceci n'est pas une oeuvre d'art". Il y a dans le "politique" une volonté, un vouloir. Qu'il n'y a pas nécessairement dans l'art. Le théâtre actuel, que je vois pratiqué parfois, est soit très (trop) conservateur ( voir Avignon, le IN, les CDN, les compagnies à la recherche de subventions et d'une reconnaissance officielle ) soit complétement phagocyté dans l'image (Pommerat ), et le propos consensuel. Le spectateur veut du spectaculaire, de l'image. De même qu'il n'y a plus de cinéastes, je pense entre autre à Théos Angéopoulos, et son travail sur les peuples de l'Europe. Voilà un questionnement, et je crois que le travail des arts de la représentation, c'est de questionner ( le sens, l'époque, la société ). Il ne peut qu'être philosophique, mais dans un sens supérieur. Non dans une glose éternelle de concepts fatigants, depuis Spinoza, Kant, et les autres. Ce questionnement doit aller au plus profond du vivant, de la vie, avec sa violence, sa beauté, et tendre vers une quète de paix, de force ( apprivoiser l'instinct de puissance ) et non vers une domestication de la pensée du peuple, une individuation qui nous fait chair à consommer et non réellement une société consciente de son destin tragique, pour précisément atteindre le bonheur d'un esthétisme naturel, dans le monde donc. L'expérience que pratique l'Agrithéâtre va dans ce sens, s'y essaye, et ce sans argent, de façon désormais absolument hors piste, encore plus qu'à l'époque où je créais "Falaises" , époque plus réactive certes.<br /> le livre de neveux s'appelle "contre le théâtre politique", titre provocation biens sûr. Son manque de positionnement clair est du bien sûr à ce que l'homme est dans le système. Moi, je n'y suis pas, mais j'assiste à la bétise croissante, et à l'hypocrisie indécente de ces entrepreneurs de spectacles, financés à tout va, mafia Toulousaine au discours ultra bourgeois. Notre lutte ne doit pas cesser et nos exigences doivent aller au plus loin. <br /> <br /> Merci de ta réactivité mon ami.

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