De l’intellectualité de Godard nombre d’intellectuels en ont fait un objet de vénération sans toujours le saisir, tandis que les intellos le méprisaient en le traitant d’intellectuel. Mais globalement on disait de lui et de son cinéma qu’il était incompréhensible. De fait, sont cinéma se plaçait au niveau d’un métalangage sur l’acte cinématographique, usant de toutes les figures de rhétorique faisant de son image une presque littérature, allant jusqu’à filmer l’écriture elle-même, la citer par la voix des acteurs, la juger supérieure à la musique.
Il a influencé mon écriture au théâtre, il a nourri mon regard. Le perdre est douloureux car avec lui s’en va une éthique de l’art lui-même, des endroits de l’histoire du XX° siècle, avec ses gloires et ses erreurs, toujours assumées, jamais regrettées, une œuvre à part entière dont la singularité nous conduit à devoir être intelligent si jamais cela nous a échappé.
Parallèlement à sa disparition et la présence de son œuvre exceptionnelle, un anniversaire autre est fêté cette année, celui des 100 ans d’ « Ulysse » de James Joyce, autre pavé littéraire qui se voudrait être un labyrinthe. Personne aujourd’hui ne voit Godard ou ne lit Ulysse, et la raison est que c’est chiant, au dire de ceux qui ne le lisent pas, qui ne le regarde pas. Il y a des séquences dans Godard, jubilatoires, bouleversantes comme dans Ulysse des pages qui sont elle-même des morceaux de films, car le lecteur ne peut que voir les images en lisant.
Notre époque prend des chemins bien étranges, la pensée que certaines œuvres suscitent en nous, nous aide à faire un écart entre la vie et l’art, que l’argent tend à confondre dans le creuset des émotions que doivent provoquer les productions littéraires et filmiques qui écrasent notre sens du jugement esthétique.