Libération - mardi 27 juillet 2021
«L'Etat cible les petites universités où les labos sont moins dotés››
Nadège Rolland est chercheuse sur les questions politiques et de sécurité en Asie au National Bureau of Asian Research à Washington, autrice d'un récent rapport sur la manière dont les groupes de réflexion en Chine servent de relais à la politique d'influence du régime autoritaire.
Y a-t-il une stratégie du régime chinois d'interférer dans les cours délivrés dans les universités du monde entier ?
La volonté d'influence existe, oui, et Xi Jinping, de plus en plus désinhibé, le dit haut et fort. Le Parti communiste chinois veut reproduire à l'échelIe mondiale les tactiques de contrôle et d'influence qu'iI exerce dans son propre pays. En Chine, l'Etat contrôle tout, surveille ses ressortissants dans tous leurs faits et gestes. Le régime commence à utiliser les mêmes méthodes sur l'échiquier mondial, notamment en France, même si I'on n'en perçoit que les prémices. L'université est l'une des portes d'entrée de cette stratégie d'influence. C'est l'un des conduits utilisés par Pékin pour délivrer ses messages.
Quels messages ?
Délivrer une vision positive des actions du Parti communiste chinois. L'objectif est de façonner et modeler la perception du régime. Et qu'à terme, le modèle politique chinois s'impose comme une altemative.
N'est-ce pas les mêmes ressorts du soft power; que pratiquent les Etats-Unis ou la France depuis des lustres ?
Non ce n'est pas pareil. Le sofi power, c'est la capacité d'un pays à donner envie aux autres, à les attirer : «Copiez mon modèle, pour être aussi extraordinaire que moi››. Ce sont, par exemple, les meilleurs étudiants à travers le monde qui rêvent d'aller à Harvard. Ce qu'est en train de faire le régime chinois, c'est complètement différent : tout est orchestré par l'Etat, qui tente de tout contrôler et d'imposer une seule façon de percevoir la Chine. .
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A Avignon, la Chine achète Molière, avec l'assentiment de son directeur, apparemment.
Cette stratégie fonctionne-t-elle ?
Regardez dans les pays en développement, qui sont le cœur de l'action du régime chinois en ce moment. Dans les Etats où les universités sont encore peu structurées, il est beaucoup plus facile pour la Chine de s'imposer en acteur indispensable. D'autant que le régime de Pékin est très généreux : il envoie ses propres enseignants chinois pour donner gratuitement des cours. Quand dans une université, vous n'avez aucun sinologue, que votre seule source de connaissance est constituée des professeurs envoyés par le régime chinois, comment avoir le recul critique nécessaire ?
Et en France ?
Le régime chinois a une capacité incroyable à s'adapter selon l'endroit où il souhaite opérer. II identifie les manquements d'un système et s'y engouffre. En France, il cible les petites universités, où par définition les labos sont moins dotés, où il peut obtenir des résultats à peu de frais. Les stratégies d'influence sont invisibles et très compliquées à mettre en lumière, souvent dans la zone grise, avec des actes pas forcément illégaux. La Chine pose les jalons dont nous mesurerons l'ampleur dans une décennie.
Sommes-nous collectivement naifs ?
Il y a quarante ans, quand la Chine a décidé de s'ouvrir vers l'extérieur, puis à la fin de la guerre froide, lorsque I Union sovietique est tombee, le discours, partage par tout I Occident, etait : «Si la Chine veut s'ouvrir, ouvrons-nous aussi vers elle, on a tout à y gagner››. On pensait tous que notre modèle démocratique allait infuser. Mais nous sommes en 2021, Xi Jinping est au pouvoir depuis bientôt quatorze ans [nommé vice-Président en 2008, et président depuis 2013, ndIr], et le régime se durcit encore. On est prisonniers de notre élan du début, on est dans une forme de déni collectif. Il faudrait un électrochoc, un acte fort qui déclenche enfin une réelle prise de conscience. Visiblement, les preuves sur l'enfermement des Oui`ghours n'ont pas suffi Or, sans une prise de conscience collective, nous ne pouvons pas réagir.
L'Agrithéâtre était à Avignon voir le très beau travail du NTP et d'Emilien Diard Detouef, comédien intervenant dans le quantique des trottoirs , et la chine organisait une conférence de Presse avec le directeur du festival (à gauche sur la photo), ainsi que les trois metteurs en scène du projet. Il semble que la Chine s'intéresse à la culture Française, mais à quelle fin ? l'article de Libération semble nous donner des éléments de réponses.