On parle beaucoup de l’article d’Ariane Mnouchkine dans « libération ». Ce que l’on oublie chez madame Mnouchkine, c’est que le squat de la cartoucherie a été après l’élection de Mitterrand, très fortement subventionné par le régime. D’ailleurs Ariane en avait profité pour monter les Shakespeare, magnifiques spectacles que j’ai eu la chance de voir. Elle y dépensait ses subventions. C’était bien, très bien, cela réunissait le peuple de gauche, nous étions jeunes à l’époque, vingt cinq, trente ans, nous étions « de gauche », petites classes moyennes.
Il y avait Mnouchkine et Peter Brook. Deux styles de recherches, éblouissants. Mais …Qui allait au théâtre ? De quelle culture s’agissait il ? Chez Brook, c'était la gauche caviar, et la petite intelligentsia universitaire.
Il s’agissait toujours de cette histoire du peuple, qui fait peuple, quels sont les idéologies en cours, les intellectuels, c’est toujours cette petite bourgeoisie confortable qui est aux manettes, et n’oublions pas qu’Ariane en venait de cette classe. Son père était un des plus gros producteur de cinéma de France.
Du coup on oublie le peuple, et voilà, on fait son article de méa culpa.
La solidité d’une société se voit à sa culture. Et depuis cette belle époque, nous assistons à l’effondrement de la culture, de l’imaginaire des enfants verrouillé par Les Pokémons, Marvel et DC comics. Avec Georges Lucas et sa guerre des étoiles qui raconte une rébellion contre le fascisme de l’empire. Bien vu les Américains.
Qu’a-t-on fait et surtout, que fait on actuellement : Rien, absolument rien, on subventionne des artistes intermittents pour intervenir à l’école pour faire du théâtre.
On ne fait pas du théâtre. Qui n’est pas un acte narcissique. On apprend que le théâtre est un acte politique, anthropologique, qui construit une société, qui réunit, fait penser, provoque, dérange.
Alors Ariane, qu’on s’extasie devant ton article et son constat, me fait sourire. Quand il y a trente ans je montais en banlieue avec des jeunes un spectacle sur le discours fasciste, les gens me disaient : tu exagère.
C’est vrai, j’avais trente ans d’avance. Sur le fascisme, la pensée Woke, et le climat. Tout était dans ce spectacle « A la surface ». Si le ministère m’avait donné des subventions, je n’aurait jamais dénoncé. Le théâtre ne sera jamais une affaire de pouvoir. Mais le pouvoir en a besoin, pour assurer le consensus bourgeois. Consensus mou, aveugle, attaché à son confort esthétique, sa petite sécurité. Il va nous falloir réinventer des agoras, des scènes, des publics.
Il va nous falloir ETRE le théâtre, enfin. Pas se prendre pour lui. Et faire joli, moderne, actuel. Il va falloir tuer Molière, Shakespeare, pour les retrouver ailleurs, dans des retrouvailles anciennes, où ils nous montraient la voie. Celle de la critique politique et philosophique de leurs époques. Il nous faut prendre des risques, écrire, réunir. Faire œuvre. Arréter l' "Entertainment" (divertissement) et retrouver le sens du tragique, car le monde est tragédie.
La comédie est le luxe des périodes fastes. Et la notre ne l'est pas, il me semble. Tu as oublié le peuple Ariane, comme notre président, c'est pas malin, et puis les subventions, c'est toxique.
Benjamin Sisqueille